Le président mauritanien Mohamed Ould Ghazouani (centre) avec Omar Touray, président de la commission de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et le chef de la diplomatie nigériane, Adamu Ibrahim Lamuwa, le 10 août 2023 à Abuja. KOLA SULAIMON / AFP
S’engager dans une voie sans renoncer à l’autre exige un certain sens de la diplomatie. Après le coup d’Etat au Niger, la République islamique de Mauritanie a d’abord dénoncé le coup de force du général Abdourahamane Tiani, ancien chef de la garde présidentielle. Dans un communiqué publié par le ministère des affaires étrangères le 26 juillet, le jour même du putsch ayant renversé Mohamed Bazoum, le gouvernement mauritanien a dit suivre « avec une grande inquiétude l’évolution de la situation dans ce pays frère » et « renouveler son rejet absolu des changements anticonstitutionnels ».
Cette prise de position a surpris la communauté internationale. C’est la première fois que la Mauritanie, qui n’a jamais officiellement pris position sur le sort du Malien Ibrahim Boubacar Keïta (renversé en 2020), du Guinéen Alpha Condé (en 2021) ou du Burkinabé Roch Marc Christian Kaboré (en 2022), condamne ouvertement un coup d’Etat. « La Mauritanie a toujours gardé une attitude très discrète et très mesurée, explique Alain Antil, responsable du suivi de l’Afrique subsaharienne à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Elle n’apparaît jamais en première ligne et privilégie la voie diplomatique. »
« Elle a fait cette fois une condamnation de principe, ajoute un observateur nord-africain. Parce que le pays détient probablement le record de la sous-région en matière de putsch et que le président mauritanien a lui-même participé aux deux derniers dans son pays, en 2005 et en 2008, avant d’être élu démocratiquement en 2019. »
Un pays épargné par le djihadisme
Le communiqué demandant le retour à l’ordre constitutionnel au Niger a-t-il été dicté par la crainte d’une contagion régionale des coups d’Etat ? Mohamed Ould Ghazouani est à l’heure actuelle le dernier président démocratiquement élu du G5 Sahel, qui regroupe, aux côtés de la Mauritanie, le Tchad, le Niger et le Burkina Faso (le Mali s’étant exclu). Selon plusieurs sources, la sécurité a été renforcée autour du chef de l’Etat mauritanien depuis le 26 juillet.
« En tant qu’ancien responsable du renseignement puis qu’ex-chef d’état-major, le président Ghazouani a une bonne connaissance des arcanes de la défense nationale, explique Alain Antil. Depuis longtemps, l’armée est au centre des préoccupations : les soldes ont été revalorisées récemment et des formations à l’étranger ont été proposées aux officiers. » La Mauritanie peut aussi se féliciter d’être devenue un pays sûr. Alors que le Niger – où au moins 17 soldats ont été tués mardi dans une embuscade terroriste –, le Mali et le Burkina Faso sont régulièrement frappés par les attaques djihadistes, elle n’a connu aucune offensive sur son territoire depuis 2011.
Depuis le putsch nigérien, le président mauritanien a été encouragé plusieurs fois par ses pairs à s’engager davantage dans cette nouvelle crise sahélienne. La Mauritanie ne fait plus partie de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) depuis 1998. A Abuja, où Mohamed Ould Ghazouani était présent à la réunion de la Cedeao du 9 août au titre de président en exercice du G5 Sahel, « il a reçu une demande appuyée de Macky Sall [président du Sénégal favorable à une intervention] pour peser de tout son poids, fait savoir un proche de la présidence mauritanienne. Il a également reçu la visite d’un influent Touareg mauritanien au Sahel, conseiller notamment du président Bazoum, qui a tenté de le convaincre d’adhérer à l’idée d’une intervention militaire. Mais la position de M. Ghazouani est restée la même : Nouakchott ne soutiendra pas le régime déchu au-delà d’un communiqué, même s’il est un ami de Mohamed Bazoum. »
La participation des soldats mauritaniens à une éventuelle intervention aux côtés de la Cedeao, et alors que les chefs d’état-major des armées ouest-africaines se réunissent au Ghana jeudi 16 et vendredi 17 août pour en discuter des modalités, n’est pas à l’ordre du jour.
Même position quant aux lourdes sanctions économiques et financières imposées à Niamey : Nouakchott a refusé de s’aligner sur la position de la Cedeao. Comme lorsqu’un blocus avait été imposé au Mali, la Mauritanie avait refusé de fermer sa frontière, alors que son port est l’une des voies de commerce majeures pour Bamako. Mohamed Ould Ghazouani se méfie aussi d’un mécontentement de la junte malienne, qui a assuré les putschistes nigériens de leur solidarité. « La Mauritanie ne veut pas se mettre à dos la junte malienne », précise-t-on à la présidence. Elle ne veut pas plus risquer de ternir ses relations avec le Niger.
Pierre Lepidi