Le secteur minier en Mauritanie représente un pilier essentiel de l’économie nationale, avec un potentiel de développement considérable. Pour mieux comprendre les enjeux, les défis et les perspectives de cette industrie cruciale, TAQA a eu le privilège de s’entretenir avec Ahmed El Hassen, un expert renommé dans le domaine minier en Mauritanie.
Diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris, Ahmed El Hassen bénéficie d’une expérience de plus de 30 ans dans l’exploitation et la planification des mines. Son parcours professionnel remarquable l’a conduit à jouer un rôle central dans les projets miniers majeurs de la Société Nationale Industrielle et Minière (SNIM) au cours des dernières décennies.
En tant que pionnier de l’informatisation des mines et de l’implantation de systèmes automatisés de gestion des flottes Pelles/Camions, Ahmed El Hassen a contribué de manière significative à l’optimisation des opérations minières en Mauritanie. Aujourd’hui, en tant que consultant auprès de bureaux d’études nationaux et internationaux, il continue à apporter son expertise précieuse pour le développement durable du secteur minier tant en Mauritanie que dans la sous-région.
Dans cette entrevue, Ahmed El Hassen a partagé ses observations, ses analyses et ses recommandations sur les perspectives futures du secteur minier mauritanien, ainsi que sur les défis à relever pour assurer sa croissance et sa durabilité à long terme.
Question : Quelles sont les principales ressources du potentiel minier en Mauritanie et sur quelles ressources clés le pays peut-il capitaliser à court terme ?
Ahmed El Hassen : La Mauritanie possède environ 900 indices de minéraux. Parmi ces minéraux, on a le Fer, le cuivre, l’or, le phosphate, l’uranium et le gypse, peut ne citer que ceux qui sont en exploitation ou en voie de l’être.
A court terme, il est préférable de se focaliser sur ceux qui ont une forte valeur ajoutée (Or par exemple) ou qui bénéficient d’infrastructures existantes (chemin de fer, Port et énergie) comme le fer. Le cuivre (associé parfois à l’or) ainsi que les autres métaux de la transition énergétique (Cobalt, Nickel, Lithium, Manganèse…) pourront attirer les investisseurs internationaux qui prédisent une forte demande dans les années à venir. L’Uranium aussi bénéficie d’un regain d’intérêt, après de longues années de mauvaise conjoncture et d’arrêts systématiques de production dans plusieurs gisements, car les coûts de production étaient quasiment supérieurs aux prix de vente. La raison principale de la hausse des prix est due à la forte demande consécutive au retour progressif des pays à l’utilisation de l’énergie nucléaire qui est considérée comme énergie verte. En effet 30 pays ont manifesté leur intention de construire de nouveaux réacteurs d’ici 2050, selon l’Agence Internationale de l’énergie.
Ce qui est prépondérant et détermine principalement l’exploitation ou non d’une commodité, c’est son prix de vente sur le marché international. Plus généralement, on apprend, en économie minière que la rentabilité des mines est plus sensible aux facteurs de prix de vente, suivis par la teneur du gisement (le niveau de concentration du minéral) et le niveau des capitaux nécessaire pour extraire le minéral. On va jeter un coup d’œil sur l’évolution du prix de vente du Fer, de l’Or du Cuivre et de l’Uranium.
FER
On sait que le système de fixation des prix du minerai de fer a changé depuis 2008. Il est maintenant fait tous les jours, CFR au Port Chinois de référence de TIANJIN. L’évolution de ces prix depuis 2008 à 2024 (Février) montre en gros 3 périodes. De 2008-2015, c’était l’âge d’or du fer. Son prix est resté longtemps au-dessus de 150$/t. La seconde période de 2015-2020, c’est la période où les prix sont tombés jusqu’à 40$/t. La troisième période c’est la période actuelle de 2020 à aujourd’hui, qui a connu le plus de fluctuations de 210 à 80$/t.
Sur le plan des réserves, celles-ci sont estimées à environ 15 Milliards de tonnes selon la SNIM (annonce faite par son DG lors de la Conférence MAURITANIDES 2022. Des tentatives d’investissement massif (plus de 3 Milliards $) par GLENCORE en 2013 pour le développement du gisement d’ASKAF ont échouées à cause de la volonté de la SNIM de fixer des coûts élevés pour le transport sur son chemin de fer et le chargement du minerai au Port. La perte de confiance avec la SNIM et la MAURITANIE est consommée depuis lors, et ce n’est pas facile à rétablir.
L’OR
L’Or n’a cessé d’augmenter depuis 2000 passant de 300 $/oz à plus 2000 $/oz. Il a cependant subi un creux aux environs de 1300 $/oz entre 2013-2019.
Le CUIVRE
Pendant longtemps, le Cuivre est resté autour de 2000 $/t (15ans de 1990 à 2004). A partir 2004, il a amorcé une pente ascendante jusqu’à 8000 $/t aujourd’hui, avec des fluctuations. Pour rappel 2004 est l’année du démarrage du projet MCM.
L’URANIUM
Les prix de l’Uranium n’ont cessé de fluctuer ces dernières années, après une longue période de stagnation entre 1980 et 2005 à un prix inférieur à 25 $/livre. Depuis ils ont grimpé jusqu’à 137 $ en 2007 pour se stabiliser aux environs de 50 $ jusqu’en 2012 pour chuter ensuite à 32 $ jusqu’en 2021. Ensuite entamer une montée jusqu’à atteindre 95 $ en ce début Mars 2024.
La fluctuation des prix de vente des matières premières n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Cela pousse les états et les entreprises à sécuriser leur approvisionnement d’une substance donnée. C’est ce qu’on appelle un INVESTISSEMENT OFF-TAKE qui décrit un accord par lequel un acheteur s’engage à acheter une quantité d’un produit donné auprès d’un producteur à un prix prédéterminé et sur une période donnée.
Question : La SNIM vise à augmenter sa capacité de production à près de 40 tonnes par an. Selon vous, est-elle sur la bonne voie pour atteindre cet objectif ?
Ahmed El Hassen : L’objectif de 40 mt/an figurait dans la stratégie à long terme de la Snim, hors de la production attendue par les partenariats et joint-ventures avec les entreprises extérieures. La répartition de ces 40 mt est de 9mt de minerais enrichis au niveau des usines Guelbs (g1 et g2), 9mt de minerais naturellement riches des gisements de la kédia et Mhaoudat et 22 mt à partir de 2 nouvelles usines d’enrichissement à construire près du gisement de Tizerghaf. Mais après la crise de 2015 (prix de vente tombés à 40 $/t) et la baisse consécutive des investissements dans le minerai de fer, cet objectif avait été révisé à la baisse à hauteur de 26 mt/t, en portant la production de Tizerghaf à seulement 6mt/an, dans un premier temps et en ajoutant le nouveau gisement de Fderik pour 2 mt de minerais naturellement riches. Toute augmentation de production ne peut provenir, essentiellement que de minerais pauvres à enrichir, qui ne peuvent pas être rentables en période de basse conjoncture.
L’enrichissement des minerais magnétiques pauvres de 35% en Fer pour les ramener à plus de 65% en Fer implique des coûts élevés essentiellement en énergie. La construction de ces usines et leurs annexes implique aussi des investissements très élevés et assez difficile à mobiliser dans le contexte de notre pays et du marché relativement peu stable du minerai de fer. L’option de partenariats avec des entreprises extérieures solides est probablement plus facile à envisager.
Question : Pourquoi les projets miniers en partenariat avec la SNIM, tels que EL AOUJ, TEKAMUL et TAZADIT, sont-ils actuellement en pause ?
Ahmed El Hassen : Les projets EL AOUJ et TEKAMUL visent l’exploitation et l’enrichissement de minerais pauvres à partir des Guelbs de ElAouj et Atomai situés à l’Ouest de Zouerate.
ELAOUJ est une joint-venture avec Glencore, (50%/50%), ou son remplaçant, on parle de négociations avancées avec une société australienne pour prendre le relais de Glencore dans ce projet. Ce projet vise une production de 11 Mt/an de minerais.
Alors que le projet TEKAMUL est une joint-venture avec une société saoudienne, Hadeed (50%/50%). Aux dernières nouvelles, il semble que les partenaires sont dans la phase d’ingénierie et de recherche de financement. Ce projet vise une production de 10 mt/an.
Le 3ème partenariat concerne l’ouverture d’une mine de fer souterraine en dessous de la grande mine à ciel ouvert de TAZADIT. Ce partenariat est fait avec une entreprise étatique chinoise du nom de MINMETALS, qui produit de l’acier, fabrique des sous-marins et des fusées aérospatiales. Ce projet vise une production de 3 mt/an de minerais naturellement riche.
Je ne pense pas que ces partenariats sont en pause. La Direction actuelle de la SNIM mène des efforts en vue de les activer, après la hausse des prix amorcée depuis 2020-2021.
Question : Quelle serait la meilleure stratégie pour résoudre les défis énergétiques du secteur minier ?
Ahmed El Hassen : La meilleure stratégie est d’amener l’énergie électrique à bon marché sur les sites d’exploitation et de traitement (lignes aériennes et énergie renouvelable à produire sur site), ainsi que les infrastructures routières en bon état.
Question : Comment l’essor de l’hydrogène vert pourrait-il impacter l’industrie minière en Mauritanie ?
Ahmed El Hassen : Produire de l’H2 en Mauritanie permet la transformation des minéraux sur place ce qui augmente leur valeur ajoutée. Pour cela il suffit de mettre en place les aspects institutionnels (un code de l’hydrogène attractif). Je pense surtout à la production de l’acier vert. Un projet en ce sens circule depuis plusieurs années, visant l’utilisation du gaz, dans un premier temps comme source d’énergie. C’est le projet « WAD SOULB » dont les promoteurs souhaitent installer, non loin de la zone de TANIT, et en plein cœur de la zone de production de l’H2.
Question : Quelle est votre évaluation de l’entrepreneuriat dans le domaine minier en Mauritanie et pourquoi les investisseurs nationaux semblent-ils moins engagés dans l’exploration minière ?
Ahmed El Hassen : L’entrepreneuriat local n’aime pas courir des risques. Mais avec les technologies d’aujourd’hui, les risques de l’exploration minière sont plus faibles. La recherche géologique et minière passe par des phases de levés de surface, géochimie, géophysique, qui ne coûtent pas chers. Ce sont surtout les phases d’exécution des sondages et autres études qui s’en suivent qui coûtent chers. Le cout donc de l’exploration est plus ou moins progressif et à chacune de ces phases, le détenteur du permis à la latitude de poursuivre seul ou en partenariat avec un promoteur plus solide financièrement ou abandonner la cible. C’est donc une démarche graduelle avec des risques mesurables et qui peut aboutir à des découvertes importantes et des gains considérables.
Question : Comment l’exploitation minière peut-elle contribuer à la lutte contre le chômage en Mauritanie, et quelles politiques pourraient être mises en place pour maximiser cet effet ?
Ahmed El Hassen : Il n’y a pas de doute que l’exploitation minière ne contribue pas au développement des pays. Voir dans l’histoire des Mines de charbon en Europe, Fer en Australie et Brésil, Or en Afrique du Sud. Les mines actuellement en exploitation (SNIM, TASIASET et MCM) offrent de l’emploi à un grand nombre de citoyens et contribuent au développement du pays par les redevances qu’elles versent à l’Etat et les achats de produits et services qu’elles font auprès d’entreprises locales.
Question : Comment évaluez-vous la stratégie nationale actuelle en matière de recherche et d’exploration minière en Mauritanie ?
Ahmed El Hassen : En 2020, le gouvernement mauritanien a confié à un cabinet d’ingénierie conseil national, créé en 2017 par la Snim (30% du capital) et ses anciens cadres (70%), la mission de réorganisation institutionnelle des établissements sous tutelle du ministère des mines, à savoir l’OMRG et la création d’une agence pour l’encadrement de la mine artisanale et semi-industrielle. Ce travail avait abouti à la création, par décret du conseil des ministres (en Mai 2020), de l’ANARPAM et MAADEN). Les recommandations pour L’ANARPAM qui est en charge de la promotion du patrimoine minier sont :
– Renforcement du personnel (nbre, compétences, salaires, etc.)
– Acquisition de moyens de prospection, de laboratoires et de bureaux (ordinateurs, logiciels, cartes,…).
– Accompagnement par un consultant pour le recrutement, la formation du personnel et l’élaboration des procédures de travail.
– La prise en charge de la participation de l’état dans les permis ainsi que la possibilité de commercialiser sa part elle-même ou par un tiers.
Aujourd’hui, 4 ans après il ne me semble que ces recommandations aient vues le jour comme il se doit, à part peut-être le transfert du patrimoine minier de la SMH vers l’ANARPAM. Ces recommandations constituent l’ossature de cette stratégie.
Question : Serait-il réalisable de créer une société nationale pour l’exploitation de l’or en Mauritanie, à l’instar de la SNIM pour le fer ?
Ahmed El Hassen : C’est possible et même souhaitable avec le soutien de la SNIM ou l’une de ses filiales. L’apport de la SNIM dans le développement du pays n’est pas à démontrer (considérable). Il n’y a pas une substance minérale que la SNIM ne peut pas exploiter. Elle possède toutes les compétences pour cela. Par ailleurs, la SNIM possède l’organisation et les moyens nécessaires en Mauritanie et à l’étranger pour acquérir n’importe quelle technologie dans ce domaine. Mais pour plus d’efficacité, elle a besoin de s’associer avec des partenaires extérieurs plus performants.
Question : Quelle stratégie pourrait être adoptée pour attirer davantage d’investissements étrangers dans le secteur minier en Mauritanie, compte tenu de ses vastes réserves minières ?
Ahmed El Hassen : Cette stratégie doit être axée sur un code minier clair et attractif. Elle doit aussi permettre l’accès à l’énergie à bon marché, ainsi que les infrastructures et moyens de transport. Elle doit aussi viser l’augmentation de la participation de l’état mauritanien dans les permis en améliorant la connaissance des gisements potentiels.
La stratégie nationale dans ce sens doit viser un allégement des procédures d’octroi des permis et de recouvrement des redevances, tout en préservant l’intérêt du pays. Il faut savoir que le développement des Mines nécessite d’importants moyens techniques et financiers que notre pays ne peut pas mobiliser.
Enfin pour attirer les investissements étrangers, il faut éviter les erreurs passées avec GLENCORE (sur ASKAF) et avec d’autres qui ont manifesté leur intérêt pour obtenir des permis sans succès.
A ce sujet, je veux donner l’exemple du CHILI où il y a des investissements miniers importants Américains, Chinois et Indiens côte à côte. Ce pays impose à tous sa souveraineté sur son sous-sol et chacun trouve son compte dans un partenariat gagnant-gagnant.
Question : Quel impact la numérisation et les technologies émergentes peuvent-elles avoir sur l’industrie minière en Mauritanie et comment le pays peut-il tirer profit de ces avancées ?
Ahmed El Hassen : Depuis longtemps, l’industrie minière utilise à fond les nouvelles technologies de l’information (modélisation 3D, IOT, imageries satellitaires, Drones). Ces technologies sont aujourd’hui plus accessibles qu’avant à tout le monde et nos jeunes informaticiens travaillent avec ces outils aussi bien en Mauritanie que dans les plus prestigieuses institutions dans plusieurs pays du monde.
Question : Quelles leçons peuvent être tirées des expériences d’autres pays dans le développement de leur secteur minier, et comment ces enseignements pourraient-ils être appliqués en Mauritanie ?
Ahmed El Hassen : Nous devons s’inspirer des codes miniers et des conventions minières des pays amis qui ont le même contexte que nous, comme la Côte d’ivoire, le Ghana ou l’Égypte. Certains de ses pays ne signent pas des conventions supérieures à 12-15 ans, quitte à les renouveler souvent. Rarement les conventions s’étalent sur 30-35 ans, car il ne faut pas tuer l’avenir.
Question : Enfin, quelles seraient vos recommandations prioritaires pour stimuler la croissance et le développement durables de l’industrie minière en Mauritanie dans les années à venir ?
Ahmed El Hassen : La croissance durable de l’industrie minière en Mauritanie ne doit pas avoir comme objectif essentiel d’apporter des ressources financières à l’état sous forme de taxes ; mais surtout résorber le chômage de la jeunesse (diplômés et autres), en facilitant autant se faire que peu l’ouverture des gisements. Par ailleurs, en améliorant la connaissance des gisements, l’ANARPAM peut augmenter sa part dans les permis de 30-40%, avant de les partager avec les promoteurs potentiels et asseoir ainsi un partenariat gagnant-gagnant avec ces entreprises.