En Mauritanie, la ruée vers l’or se transforme en trafic d’objets archéologiques

De plus en plus d’orpailleurs en Mauritanie vendent sur Facebook des objets historiques trouvés au cours de leurs recherches, notamment des pièces de monnaie et des petites statues datant du Moyen-Âge. Le phénomène s’amplifie depuis que le pays est le théâtre d’une ruée vers l’or, et des archéologues tirent la sonnette d’alarme sur cette dérive. Ils exhortent les autorités à mieux surveiller l’orpaillage artisanal afin qu’il n’impacte pas les sites archéologiques éparpillés dans tout le pays.

Environ 16 000 individus pratiquent légalement l’orpaillage artisanal en Mauritanie, selon les chiffres officiels. Parmi eux, certains s’adonnent visiblement au trafic d’objets historiques. Plusieurs groupes Facebook proposent à la revente essentiellement des dinars en or, des pièces de monnaie en bronze, des petites statues qui date du Moyen-Âge. On en trouve par exemple ici.

Selon Ahmed Maouloud Eida El-Hilal, ‎responsable du Laboratoire de l'histoire et du patrimoine mauritanien à l’université de Nouakchott, beaucoup de pièces en or proposées à la vente sur Facebook remontent à la période de l’État des Almoravides, un État formé sur une alliance de tribus berbères, et qui s’est étendu sur la Mauritanie, le Maroc, une partie du Sénégal et une partie de l’Andalousie entre le XIe et le XIIe siècle.

La publication ci-dessous, issue du compte Facebook d'un orpailleur, propose par exemple des pièces retrouvées dans le sud-est du pays. Pour Ahmed Maouloud Eida El-Hilal, elle pourrait signifier que des orpailleurs sont de plus en plus proches des cités archéologiques du Sud-Est comme Aoudaghost et Koumbi.

Le 12 janvier, un individu publiait sur le groupe Facebook "Etebtab" une série de photos de pièces archéologiques en bronze. Ahmed Maouloud Eida El-Hilal estime que ces pièces remontent à l’ère de l’État de Banou Mérine, un royaume d’Afrique du Nord entre le XIIIe et le XVe siècle. Selon lui, "l’étoile de David fait partie des symboles utilisés par la culture arabo-musulmane à cette époque".

 

Nous avons contacté par téléphone un orpailleur qui a mis en vente ces pièces. Il nous a affirmé les avoir trouvées dans le cadre de son activité d’orpaillage dans la région d’Ain Bentili, dans l’extrême nord du pays. Elles étaient selon lui à un mètre de profondeur. Il dit avoir trouvé ces pièces avec le détecteur de métaux qu’il utilise pour repérer l’or. Il nous a proposé de vendre chaque pièce à 1 million d’ouguiya la pièce (soit environ 2 500 euros) et nous a envoyé ces photos pour prouver qu’il est le vrai détenteur de ces pièces.

Ahmed Maouloud Eida El-Hilal est inquiet car selon lui, les sites archéologiques manquent de surveillance. Il propose d’intensifier les missions d’inspections pour en éloigner les orpailleurs :
 

J’ai averti depuis des années des répercussions sur les sites archéologiques de la ruée vers l’or. Mais en Mauritanie, il n’y a pas d’administrations régionales du patrimoine pour assurer un contrôle effectif et je vois depuis des années des orpailleurs qui mettent en vente des pièces historiques sur les réseaux sociaux. J’appelle les autorités à intensifier la surveillance des activités des orpailleurs et à arrêter toute personne qui vole des pièces et les recèle dans des trafics d’objets. Ces pratiques sont des infractions flagrantes aux lois qui protègent le patrimoine du pays depuis 1972, lesquelles sont cependant inappliquées. L’État devrait veiller à la récupération de ces pièces, leur place est dans le musée national ou dans les mains des spécialistes du patrimoine et de la culture.

 

La publication d'Ahmed Maouloud Eida El-Hilal pour alerter sur le danger que porte l'orpaillage artisanal sur les sites archéologiques.

Depuis la découverte de l’or près de la mine de Tasiast et aux alentours de la ville minière de Zouerat, des milliers de Mauritaniens sont partis à la recherche d’or en pratiquant un orpaillage artisanal. Des milliers d'appareils de détection de métaux ont été vendus.

Plusieurs industriels d’or étrangers opèrent en Mauritanie, essentiellement au nord du pays, tels que les sociétés canadiennes Kinross et Algold. Elles sont tenues de remettre les pièces archéologiques trouvées au cours de leurs activités aux autorités compétentes.

Depuis 2016, l’orpaillage artisanal individuel est réglementé : une autorisation est requise pour l’exercer. Seize mille autorisations ont été accordées en 2016 aux demandeurs d’orpaillage artisanal. Mais selon les chiffres de RFI , 20 000 Mauritaniens, avec ou sans autorisation, exercent déjà cette activité.

Selon les chiffres de la Banque centrale mauritanienne, qui détient le monopole de l’achat de l’or trouvé par les orpailleurs, l’activité d'orpaillage artisanal a produit 0,5 tonne d'or essentiellement trouvé dans la zone de Guelb N'Dour, au nord-est du pays, où 4 000 orpailleurs sont autorisés. Sans prendre en compte cette production artisanale, la production annuelle d’or de la Mauritanie se situe en 2019 aux environs de 7,6 tonnes d’or (soit 245 856,76 onces d’or).

Article écrit par Omar Tiss.

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jeu, 23/01/2020 - 13:45