Notre ex-Président Mohamed ould Abdel Aziz a été convoqué pour le jeudi prochain par la commission d’enquête parlementaire qui veut entendre sa version de certains dossiers sur lesquels elle planche. Et certes il doit avoir certainement un mot à dire, lui qui se vantait, à chaque occasion, d’être au four et au moulin, de tout gérer jusqu’au moindre détail.
Il ne pouvait donc ne pas avoir ordonné que tel marché soit attribué à un tel, que telle facilité soit accordée à tel autre, que telle convention soit signée, telle société publique liquidée ou tel contrat léonin accordé à tel membre du clan. Sous son magistère, les ministres, à commencer par le premier d’entre eux, les directeurs généraux et tous les responsables n’étaient que des sous-fifres, de « petits » exécutants obligés de rendre compte du plus petit détail et incapables de prendre la moindre décision sans le feu vert du chef, omniscient et omniprésent.
Il était donc impossible que celui-ci soit épargné par la commission d’enquête qui a déjà auditionné des ministres et des directeurs. Même si, selon la Constitution modifiée par ses soins en 2017, il ne peut être poursuivi que pour haute trahison et seulement par une Haute Cour de Justice. Une issue normalement inévitable, si la Commission exerce ses prérogatives sans interférence de l’exécutif et transmet ses conclusions à la Justice. Faut-il en rire ou en pleurer ?
Qu’un ex-Président rende enfin compte pour toutes les irrégularités commises sous son pouvoir ne peut que réjouir ceux qui militent pour la fin de l’impunité ; ceux qui se battent pour qu’on ne nous dise plus, chaque fois qu’un régime cède la main : « Tournons la page ! » ; et ceux qui, dans leur chair, ont enduré des injustices une décennie durant. Quoi qu’on dise,
Ould Abdel Aziz ne fut pas un Président comme les autres. Il était aux premières loges lorsqu’il s’agissait de faire mal et il s’en délectait. Dès ses premiers mois au pouvoir, il donna un signal fort, arrêtant des hommes d’affaires, les traînant devant la police économique pour une affaire qui aurait pu être réglée à l’amiable.
Puis il expédia en prison des directeurs et des présidents de la défunte Air-Mauritanie parce qu’ils lui étaient opposés. Un ex-Premier ministre qui refusait de cautionner son coup d’État ; un ex-président de Mauritania Airways auquel il imputait la faillite de cette dernière, alors qu’il n’avait aucun droit de regard sur sa gestion…
Encore et toujours à régler des comptes personnels. C’est encore lui qui lança des mandats d’arrêt internationaux illégaux contre ses opposants qu’il avait contraints à l’exil. Qui plaça des sénateurs, des journalistes et des syndicalistes sous contrôle judiciaire.
C’est toujours lui qui mit la justice en coupe réglée, pour en faire une épée de Damoclès au-dessus de tous ceux qui osaient lui dire non. II arrive toujours un jour où il faut rendre compte. Une justice immanente en somme.
Ahmed Ould Cheikh
* Titre source : Une justice immanente