Actualité oblige : Mme Nebghouha Mint Mohamed Vall, ministre de l’Education, est sans vacance. Malgré toute la crise que traverse le gouvernement depuis sa démission, elle reste sur le terrain. Et il faut attendre tard dans la nuit, pour trouver un temps d’interview avec elle ! Celle qui suit a été recueillie à son domicile, après 23h !
Première femme, à occuper le ministère de l’Education, sa vie est sans repos. Parce que Madame ? Sans nul doute. On tire à tout bout de champ sur son voile. Machisme, quand tu nous tiens ! Peu importe. Mme la ministre a de l’audace. Et demeure confiante que si on lui en laisse les marges, la montagne de l’Education nationale qui a plus été, par le passé, une vache à lait que l’école qui prépare l’avenir de l’élite, sera compétitive !
Puisque le constat est amer : les élèves mauritaniens ne sont plus la référence qu’ils incarnaient. Le niveau s’est dégradé, année après année. A l’Etranger, nos étudiants sont astreints à des remises à niveau. Dans l’administration locale, piteux sont les courriers de service qui s’échangent. Aucun niveau de langue : ni en arabe, ni en français. Nos langues de travail ne sont plus que des squelettes de la honte. Combien de fois, un directeur ou un ministre a rattrapé une note mal rédigée ?
C’est à cette médiocrité, que veut s’attaquer Mme la ministre. Car, du courage, elle en a la Nebghouha : « nous ne devons plus admettre que des gens soient payés pour un service qu’ils ne rendent pas à l’Etat. Et mettre fin à cela, ce sera les obliger à une plus grande conscience professionnelle. Sinon nos élèves ne seront pas compétitifs dans un monde de plus en plus rude.»
Nebghouha s’attaque alors aux racines du mal : l’immobilisme, le laisser-aller, les complaisances de toutes sortes. Du détachement abusif et anarchique aux abandons de postes non sanctionnés. Autant dire, du haut de la montagne, que la lionne a décidé de placer sa tanière !
Al Mourabit : Comment s’organisent les journées de Mme la ministre ?
Mme Nebghouha Mint Mohamed Vall, ministre de l’Education : A la recherche de solutions pour boucler, comme il le faut l’année scolaire. Nous courons sur tous les fronts !
Le système éducatif n’est pas encore sur les rails ?
Pas du tout. Nous ne sommes qu’au début de notre combat. Pour le moment, nous sommes sur des mesures qui sont de deux ordres. D’abord mener des réflexions profondes, stratégiques, afin de sortir notre système éducatif de sa situation de crise. Pour se faire, un plan d’action à court terme allant de 2007 à 2009, a été mis en place. Des mesures urgentes sont établies. Puis, à long terme, des Etats généraux de l’éducation-formation sont en préparation. Nous nourrissons beaucoup d’espoir sur ce dernier volet. Car, avec lui, nous aurons une vision prospective de ce que devrait être notre système éducatif et les moyens qu’il conviendra de mettre en œuvre. Quelque soit ce qu’il faudra y mettre, nous estimons que notre système actuel en a besoin. Puisqu’il y va de l’avenir de nos générations futures. Puis il y a ce que, moi, j’appelle des mesures conservatoires. La préservation des acquis positifs et l’amélioration des nouvelles œuvres entamées. C’est ce sur quoi nous nous sommes attelés tout au long de cette année scolaire 2007-2008. En innovant aussi par le redéploiement d’enseignants dans divers établissements scolaires. Et la mesure est loin d’être fantaisiste. N’en déplaise à ceux qui la décrient !
Quelles ont été vos plus grosses difficultés dans le projet d’applicabilité de ces mesures jugées impopulaires ?
Impopulaires ou pas, nous en avons mesuré la justesse. Et cela a suffi pour nous donner l’énergie nécessaire. Permettez-moi de vous dire que, les mesures qui ont le plus suscité de remous sont celles relatives aux ressources humaines.
Pourquoi ?
Parce qu’il va de soit qu’un enseignant qui était confortablement installé dans un bureau, à longueur de journée avec peu de choses à faire, ne peut être que mécontent lorsqu’on le somme de regagner désormais les classes. Et de faire le travail pour lequel il est payé. Il est clair que c’est la fin des privilèges, des complicités. Nous avons donc touché à la fibre d’un arbre rentier… D’où la guerre qu’on nous livre. Des interventions à tout bout de champ, des gens qui appellent x ou y. Des intermédiaires qui vous apostrophent au cours d’une inauguration, dans la rue, et même dans votre espace privé. Bref, on vous met de la pression. Et pourtant il n’échappe à personne que ces mesures augurent une meilleure voie à notre enseignement. Ses lettres de noblesse ! Il y a aussi la transparence…Oui, c’est l’autre cause des grognes. Désormais nous affichons des critères objectifs pour toutes les promotions ; direction d’établissement, postes d’encadrement et autres. Là aussi cela n’est pas du bon goût de ceux qui détenaient des passe-droits, des chairs sans aucun mérite. Ils ne trouveront pas de mots assez durs pour nous dénigrer. Mes collaborateurs et moi préférons poursuivre la sensibilisation. Cela peut prendre du temps, mais on finira par en comprendre la portée.
En attendant, il y a bien ce bras de fer, à travers une grève ?
Dans cette montée au créneau, les professeurs soulignent que leurs conditions de vie et de travail se sont dégradées. Cela ne sert à rien que je dise que nous n’en sommes pas les responsables, puisque nous sommes là depuis une année seulement. Or la dégradation du système date de 15 ou 20 ans. Autrement dit, nous comprenons leurs préoccupations. Eux aussi doivent se dire que les choses ne se font pas sur un coup de baguette magique. D’où la nécessité de procéder par étapes. Et nous, pour l’instant, n’avons pas de solutions au problème matériel évoqué. En pleine année d’exécution budgétaire, il est impossible de créer des budgets. C’est une œuvre qui demande la combinaison de plusieurs synergies. Cela dit, en dépit de tous nos efforts d’explication, certains n’ont pas résisté à l’escalade vers la grève du 29 mai. Nous y avons lu une volonté manifeste de saper nos ardeurs, puisque nous étions sur la dernière ligne droite de l’année scolaire. Cette action nous mettait devant un choix douloureux : soit subir la grève, et faire courir le cas échéant aux élèves le risque d’une année blanche, soit recourir à nos réserves pour finir dans des conditions acceptables. En puisant dans nos énergies, nous avons relevé le défi. Puisque les différents examens, les compositions, le brevet et le baccalauréat, se sont déroulés comme prévues. Même si cela nous a coûté cher…
Combien ?
Difficile à dire pour l’instant, puisque l’opération n’est pas finie. Le mouvement des enseignements d’une localité à une autre, la libération de tel fonctionnaire de son service, parce qu’il doit se substituer à tel autre dans telle ou telle tâche ; corriger des copies, faire un cours, …etc. Tout cela demande de l’argent. La logistique matérielle…Bref, rien n’est gratuit. Mais le plus important n’est pas la charge financière, mais le succès au bout de la mobilisation.
Est-ce que la grève n’a pas retardé votre plan d’action dans la restructuration ?
Evidemment ! Mais, pour nous, il fallait absolument faire face à ce couac. Le plus grand regret reste que cette grève nous a coûté beaucoup de temps. Nous aurions préféré consacrer cette mobilisation aux énormes chantiers en souffrance ! Mais bon !
De quels soutiens avez-vous bénéficié ?
En tout premier lieu, de celui du président de la République. Puis l’Association des parents d’élèves. Mobilisés, puisque comprenant les enjeux, ces derniers venaient nous voir à tout moment. Ils ont même servi de médiateurs entre nous et le syndicat. Nous avons même vu des parents aller dans des établissements parler aux élèves, attirer l’attention sur les méfaits de telle et telle chose. Qu’ils trouvent ici l’expression de ma reconnaissance. Et à l’avenir, il me paraît important que le bureau des parents d’élèves soit associé à toutes les initiatives. Enfin, les enseignants eux-mêmes. Nombre d’entre eux se sont mis à nos côtés. Non qu’ils ne soient pas intéressés ou préoccupés par l’amélioration de leur mieux-être matériel ou de l’augmentation de leur salaire, mais parce qu’ils étaient conscients que le tout était lié. Que la régularité dans l’enseignement, que les promotions mérités, que l’élaboration d’un programme scolaire bien réfléchi, participent à leur image propre. Et qu’une fois tout cela acquis, tout le monde sera plus sensible à leur sort. On a même constaté que certains professeurs qui avaient pris le train de la grève avaient fait marche arrière. Je dis tout de même que ce départ en grève, si légitime soit-il, souffrait de manque de clarté dans les revendications des leaders. Disons les choses, telles qu’elles sont ! Or ce à quoi nous nous attelons aujourd’hui, c’est de remettre sur pied une chape en perdition. L’avenir de nos futurs cadres et dirigeants. Nous souhaitons que ces derniers ne soient pas victimes d’une quelconque lacune lorsqu’ils décident de se rendre à l’étranger pour poursuivre des études. Que ceux qui fréquentent nos écoles aient le niveau qu’il faut, et puissent postuler à toutes les fonctions, et nationales et internationales. Et ça, ça ne peut s’obtenir qu’avec une école, un système éducatif digne de ce nom.
Comment avez-vous pu réussir l’ensemble des examens, avec l’absence de 40% de votre effectif ?
En anticipant sur les événements. Et en faisant recours, une fois de plus, à nos énergies souterraines. (Elle lâche un brin de rire). Vous savez, c’est en temps de conflit qu’on s’aperçoit de toutes les forces qui sommeillent en nous. Et là, croyez-moi, grâce à la mobilisation de mes collaborateurs et leurs conseils, je me suis aperçue que rien ne vaut une équipe soudée. Avec eux, j’ai établi des calendriers ciblés et peaufiné des mécanismes auxquels il fallait absolument faire recours.
Qui étaient vos surveillants ? On a entendu dire que…
Je vois où vous voulez en venir ! On fait courir toutes sortes de rumeurs. Et pourtant je peux vous assurer que tous ceux qui ont été dans les classes assurer les surveillances sont du personnel du secondaire. Et chacun n’a travaillé que dans le domaine où ses compétences étaient avérées. D’autre part, on croit que le nombre de professeurs grévistes équivaut aux classes... Eh ben, faux ! On oublie que les directeurs d’établissements, les surveillants, les directeurs d’études, etc, sont aussi et avant tout soit des instituteurs, soit des profs ! Donc l’effectif est toujours là, supérieur à l’exercice visible. Donc, excusez-moi de l’expression, je trouve ridicule qu’on dise que les élèves avaient devant eux des gens venus d’ailleurs. Ce n’est pas sérieux, puisqu’on crée chez les élèves l’esprit du doute. Et cela frustre les enseignants d’être interpellés par des élèves qui vont jusqu’à leur demander où ils enseignent, depuis combien de temps, est-ce qu’ils connaissent ceci ou cela. Bref subir un interrogatoire ! Et ne pas y répondre, ou remettre l’élève à sa place, équivaut à ajouter à la suspicion.
Franchement…Maintenant que le brevet et le bac ont eu lieu, qui va corriger ?
Des professeurs! Et qui tiennent des terminales. Faut-il souligner que la grève des professeurs arrive à échéance le 13 juin. Si d’aucuns, par conscience professionnelle ou patriotique, reviennent dans les rangs, c’est tant mieux. Sinon, nous, nous maintiendrons le cap. Quitte à ce que le temps soit plus long ! De 3 jours à une semaine, ou plus. De toute façon, il n’y aura que des stylos de profs attitrés pour les copies. Le Sipes, et les grévistes, disent que les mesures de retenue sur leurs salaires sont illégales. Le ministère de l’Education est, par essence, l’institution chargée d’ancrer chez tout le monde l’esprit de citoyenneté. De ce fait, il doit montrer le bon exemple à l’élite, la relève de demain. La Constitution garantit le droit de grève. La loi de la Fonction publique décrit et précise les conditions d’exercice de ce droit pour les fonctionnaires. Pour répondre, à votre question, il est clairement dit que l’employeur a le droit d’opérer une retenue sur le salaire de tout employé en grève. Autrement dit un trentième du salaire du fonctionnaire, pour toute fraction de journée non travaillée pour raison de grève. Seules les allocations familiales ne sont pas concernées par cette retenue. C’est dans les textes ! Et, pour ce qui nous concerne, nous n’avons fait qu’attirer l’attention de la Direction du budget et des comptes, chargé des payements, qu’il y a un certain nombre de professeurs en grève depuis telle date et à telle... Quoi de plus normal ?
A l’origine de la grève, en tout cas selon les slogans avancés, le mal-être des enseignants et professeurs. Qu’est-ce que le ministère a fait, allant dans le sens de ces revendications ?
Nous travaillons en ce moment sur deux aspects. Premièrement, la révision du statut du personnel enseignant. Pour que le profil de carrière soit le plus attractif possible. Cela partant du fait que si le métier d’enseignant n’est pas revalorisé, nous n’aurons jamais les ressources humaines capables de mettre en œuvre les différentes réformes dont le pays aura besoin. La mesure donnera lieu à des avantages matériels additionnels sur lesquels il faudra bien entendu plancher. D’autre part, progressivement, le revenu des enseignants sera amélioré. Nous avions entamé des mesures, avant la grève, nous les poursuivrons. Sans oublier que, le ministère de l’Education ne peut agir que sur des indemnités qui lui sont spécifiques. Par exemple, le point d’indice relève du seul pouvoir de l’Etat. Donc nous ne pouvons pas demander l’augmentation des salaires. Voilà pourquoi, concrètement, nous avons amélioré ou créé de nouvelles indemnités. Celle de craie, passe de 5000 à 15 000 ouguiyas. Du bilinguisme, de 3000 à 10 000 Um. Celle du multigrade a été majorée aussi. Parmi celles qui n’existaient pas, la coordination des disciplines, qui permet aux professeurs d’une même discipline de choisir le plus compétent, et expérimenté, parmi eux. Son rôle sera d’avoir un œil et d’accorder son soutien à ses autres collègues. Cette indemnité est de 8 000 Um. Nous sommes, également, entrain de créer partout des laboratoires et des salles informatiques, dont les 2/3 seront équipés à la rentrée. 10 000 Um seront accordés au professeur qui en aura la charge dans chaque établissement. Enfin, nous avons retravaillé l’indemnité mensuelle en zone difficile : de 7000 à 25 000 Um pour les profs du secondaires, et de 5000 à 20000 pour le fondamental. Vous apparaissez très confiante, malgré les innombrables difficultés.
Ou tirez-vous votre énergie ?
Dans ma conviction de faire avancer le secteur de l’Education ! Car sans une école bien soutenue, avec des visées claires, nul espoir d’avoir une jeunesse capable de relever les défis du développement
Bios Diallo