SAHEL : NOUVEAUX DEFIS NATIONAUX ET INTERNATIONAUX.

Après une décennie de lutte contre le terrorisme, quelle réforme pour le secteur de sécurité et notamment les forces armées ? Faut-il privilégier les approches nationales, régionales ou internationales ? Quel rôle pour le secteur privé et aussi pour l’éducation des jeunes face aux nouveaux défis ?

 

 

Quelques observations.

 

Les sujets ci-dessus sont ceux de l’ordre du jour du Forum de Dakar et y seront débattus les 23 et 24 octobre 2022. Cependant, la question abordée dans ce texte traite de leurs conséquences sur les conflits structurels du Sahel et de la manière de les résoudre.

Mettre fin aux longues guerres civiles du Sahel, confortées par des programmes militants et des hostilités inter ethniques, exige plus que la simple signature d’un accord de paix. A titre d’exemple, la situation au Mali, des années après l’accord de paix d’Alger signé le 15 juin 2015, en est une parfaite illustration. Aborder les conséquences terribles des conflits demande plus qu’une signature. Le retour des réfugiés et déplacés internes, l’apaisement des relations entre les communautés, la reconstruction économique et la  justice transitionnelle, s’il y en a, restent essentiels.

 

Dans ce processus généralement chaotique, une première étape consiste à établir un comité crédible pour suivre et surveiller la mise en œuvre effective de l’Accord de paix. Le Mali, ses alliés, amis et voisins devraient sans doute garder cela à l’esprit. Au Burkina Faso, la situation demeure toujours fragile et l’est ailleurs dans le Sahel.

 

Des rappels révélateurs.

 

Au cours des deux dernières décennies, avant la nouvelle vague de terrorisme de 2012, le Sahel était déjà confronté à des violences structurelles. Les attentats, les meurtres, les destructions et les divers trafics illégaux constituaient la toile de fond prédominante dans la région. Contrairement à un certain nombre de déclarations politiques, cette situation a commencé bien avant la chute du régime du colonel Kadhafi. Un régime qui a soutenu l’instabilité – financièrement et militairement – notamment dans le nord du Tchad, au Niger et au Mali. Sans la pression de l’Algérie, Tripoli aurait davantage désorganisé toute la région comme elle l’a fait en envahissant le nord du Tchad (la bande Awzou) dans les années 1980.

 

Malheureusement, le projet pionnier américain de 2002 – l’Initiative Pan Sahel – n’a pas duré longtemps pour répondre à ses ambitions d’éviter la propagation au Sahel du terrorisme  et des trafics, leur véritable source de financement. Pire, à cette époque, l’efficacité de la coopération sécuritaire entre Paris et Washington était faible sur le terrain. Une coopération qui aurait dissuadé les terroristes de descendre vers le Sahel.

 

A travers le monde, la présence de terroristes et de groupes armés crée des conditions favorables à une économie illégale, prospère et notamment aux trafics de drogue, de cigarettes ainsi qu’aux migrations irrégulières. Le Sahel n’a pas fait exception à la règle et la corruption y est devenue omniprésente. Pire, avec la forte prédominance des systèmes tribaux, l’ethnicité offre des bases solides pour l’enracinement et l’expansionnisme aisés du terrorisme. Un dilemme pour des États fragiles dont la cohésion nationale est délicate. De fait, la lutte contre les groupes radicaux et les trafics est souvent source de divisions lorsque les gouvernements sont confrontés à des choix difficiles précisément en raison de ces considérations communautaires.

 

Impasses : coups d’État civils ou militaires ?

 

Plus une guerre civile dure, plus elle survit par et sur elle-même. Ceci est particulièrement vrai lorsque le conflit se déroule dans des États fragiles similaires à un certain nombre de ceux du Sahel. Les gouvernements centraux sont souvent perçus par les citoyens non pas comme nationaux mais comme les représentants d’une communauté ethnique. Idem pour les forces de sécurité dont la police et les services des douanes. Les groupes rebelles et certaines entités étrangères, présentes sur place, profitent souvent largement de ces environnements instables.

 

Les revers des forces de sécurité, lors de confrontation avec des groupes terroristes, sont utilisés comme justificatifs de changement de régime par des coups d’état militaires. Dans le même temps, les dirigeants civils peuvent également utiliser les contextes d’insécurité généralisée pour retarder ou reporter les élections et rester au pouvoir. Tout en ayant des conséquences similaires, sur la sécurité et la cohésion nationale, les coups d’état militaires et civils ne sont pas traités de la même manière par la communauté internationale. Cette approche affaiblit cependant sa crédibilité en matière de dissuasion, en particulier là où les sociétés sont traditionnellement résilientes et portées aux rébellions.

 

In fine, le terrorisme sahélien a encore de beaux jours devant lui. Ses causes profondes, notamment la mauvaise gouvernance, restent solides. Par ailleurs, la guerre en Ukraine a de fortes et multiples significations pour et dans la région. De larges segments de la population se sentent impuissants lorsqu’ils entendent ou regardent, sur les réseaux sociaux, la poursuite de l’aide massive, humanitaire et militaire, apportée par la communauté internationale au gouvernement de Kiev. Son illustration en est la déclaration attribuée au chef de la politique étrangère de l’UE, Joseph Borrel : « Les Européens doivent être beaucoup plus engagés avec le reste du monde, sinon le reste du monde nous envahira.’’

 

Une conséquence fâcheuse de tout ceci est que les terroristes, grâce à leur manipulation des réseaux sociaux, puissent être perçus de plus en plus avec moins d’animosité.

 

Ahmedou Ould – Abdallah Président centre4s

centre4s

mer, 19/10/2022 - 21:58