Excellence, actualité oblige, que pensez-vous du traitement de la pandémie du Covid-19 par nos autorités nationales ? Et que peut-on faire pour envisager sereinement l’avenir ?
Ahmedou O. Abdallah (AOA) : Comme bon nombre d’observateurs, je me réjouis de la réponse rapide, déterminée et organisée du gouvernement face à cette pandémie.
* Je m’en réjouis d’autant plus qu’elle a été difficile à prendre, à mettre en œuvre avec fermeté et encore plus à poursuivre le temps requis. Malgré notre inexpérience en ce domaine, tout a été fait sans grand tintamarre ou discours populistes si fréquents dans nos pays.
Les ministères les plus concernés - Santé, Intérieur, Défense – ont agi en bonne équipe, avec fermeté et souplesse. Cette approche forme et prépare citoyens et institutions à la responsabilité collective et à l’esprit national.
Par les risques mortels qui lui sont associés d’une part et par la réaction gouvernementale pour y faire face d’autre part, cette crise consolidera les bases de l‘Etat national. En effet, face à ce danger, l’organisation de la réponse et sa mise en œuvre sont venues du centre du pouvoir national et pas d’une entité internationale.
Chez nous, comme de par le monde, le Covid-19 a créé, ou réhabilité, l’état nation. Pas le nationalisme chauvin mais l’évidente réalité: la sécurité de tous est de la responsabilité de l’Etat, le décideur visible et assumé.
Cette naissance, ou renaissance, de l’état national, le décideur en premier sur le front, le Covid-19 vient de la confirmer chez nous mais aussi en Europe et en Asie par exemple. La solidarité entre compatriotes y est plus forte et plus acceptée qu’à l’intérieur d’un vaste ensemble régional. Face au Covid-19, le devoir de protection des citoyens a bousculé les organisations régionales des plus solides quand bien même elles demeurent des institutions essentielles.
Biladi : La Mauritanie, comme la région et d’ailleurs le reste du monde, est impactée, surtout économiquement et socialement, par cette terrible pandémie du Covid-19. A votre avis, que peut entreprendre le gouvernement pour faire face à cette situation ?
AOA : Comme la plupart des gouvernements de la région et du monde, le nôtre a dû et continue à faire face à une “guerre imprévue’’ et à durée encore indéterminée. Mais on en connait les conséquences économiques et la possibilité de prendre, autant que faire se peut, des mesures préventives.
L’économie étant mondialisée, les réponses varient selon les pays : développés, intermédiaires et autres. Tout en pensant “qu’il n’y a pas d’alternative à l’optimisme’’, nous devons rester solidaires et, si possible, disciplinés pour gérer les difficultés à venir.
Ainsi, les Investissements -Directs Etrangers – IDE - seront-ils ou plus faibles ou différés. Notre projet phare de gaz naturel Ahmeyim tombe dans cette catégorie. Heureusement, il est entre les mains de BP, un géant qui a connu et bien géré des cas plus graves. Mieux, la crise et d’autres facteurs ont ramené les hydrocarbures à de très bas prix, autour de 30 USD le baril. Pas si mauvais pour notre pays.
Les transferts de fonds effectués par nos commerçants et travailleurs établis à l’extérieur seront atteints. Souvent informels, ils vont directement aux familles des intéressés. Autre perte, le tourisme souffrira davantage qu’avec le terrorisme, réduisant revenus et emplois.
Face à ces difficultés, il y existe des raisons de garder un optimisme fut-il prudent. D’abord, notre production d’or, formelle et informelle, reste importante et augmente. Une valeur refuge actuellement cotée à plus de 1700 USD l’once. La production du fer restera liée à la reprise de l’économie mondiale et particulièrement celle de la Chine. Par ailleurs, le secteur de la pèche de surface et de fond, produit de qualité, devrait reprendre, tout comme les exportations de bétail sur pieds, dès la fin des confinements.
Certes, il faut vendre pour générer des revenus mais il faut aussi éviter les gaspillages et les déperditions des fonds par gestion hasardeuse ou par déficit de transparence. Dieu sait pourtant que le pays dispose de bonnes expertises dans les domaines miniers en particulier.
En définitive, au-delà de la crise du Covid-19, tout le monde a besoin de tout le monde pour produire, vendre et acheter. Notre pays doit y être prêt dès la fin des confinements.
Biladi : Vous avez été parmi ceux qui se sont ouvertement opposés au changement de certains symboles de l’Etat (identité nationale, drapeau, etc) y compris dans une interview au journal Biladi en 2016. Y a-t-il quelque chose à entreprendre pour les faire revenir ?
AOA : L’identité nationale est “la marque déposée’’, le patrimoine immatériel d’un pays. Partie de son histoire, elle transcende les politiques gouvernementales. Des symboles y sont associés : culture, noms de familles et de lieux, drapeau, hymne national, etc. Qu’une personne décide, à elle seule, de changer ces fondamentaux est incompréhensible et sur ce point notre silence fut, pour le moins, un manque de vigilance.
Face au combat contre le Covid-19, la solidarité des citoyens est intimement liée à l’idée d’appartenance à une communauté. Toute nation a ses symboles et ses spécificités dont précisément les patronymes. Dans le Golfe aucun Etat n’a osé supprimer le AL si spécifique à la région. Ni les Ecossais et les Hollandais se dessaisir des Mc et Van si communs. Aujourd’hui, tout mauritanien recensé a un Numéro d’Identité Nationale spécifique à lui. Aucune confusion n’étant guère possible entre individus, pour quoi imposer cette mutilation ?
Le Marechal Mobutu du Congo a changé le nom du pays et ses symboles et Kadhafi en fit autant pour la Libye. Dans les deux cas, les autorités qui les suivirent eurent la sagesse d’y revenir dessus sans débats et sans délais.
En attendant une enquête judiciaire sur les marchés de l’Etat Civil des années 2011/ 2016, mes vœux les plus chers, au-delà de la victoire sur Covid-19, est que le Président Ould Ghazwani fasse à ses compatriote, et se fasse à lui-même, un cadeau de fin de Ramadan. Ce cadeau serait : la restauration du drapeau et de l’hymne national, le nom de Moktar Ould Daddah pour l’aéroport de Nouakchott et la liberté aux citoyens de garder leurs patronymes.
Biladi : Notre pays connait actuellement un grand débat relatif à son passé politique proche et lointain. Comment voyez-vous ce débat ?
AOA : Les débats techniques sont toujours les bienvenus. Ils peuvent enrichir les gouvernements et le public pour une meilleure compréhension des questions nationales et internationales.
Dans le contexte actuel, des discussions sur le Covid-19 seraient fort opportunes. Face à un danger réel et dont le remède reste encore à trouver, se concentrer sur ce qui renforce le front intérieur et la future économie nationale me semble bien indiqué.
S’agissant de la Commission parlementaire chargée de faire la lumière sur la gestion des affaires publiques au cours des années 2009 - 20019, il convient de féliciter le Parlement pour son établissement. Et aussi le gouvernement pour ne pas s’y être opposé. Cette Commission est une première et, par sa seule mise en place, d’ores et déjà une réussite. Il lui reste, par les compétences avérées de certains de ces membres, à mener un travail objectif à bon terme.
L’impunité dévalorise les fonctions gouvernementales, discrédite le service public, aggrave les inégalités et mine le sentiment national. Il est permis d’espérer que les travaux de cette Commission aideront à y mettre fin, au moins pour un temps.
Il convient de former un consensus national pour l’aider à mener sa mission avec sérieux et dans la sérénité. A cet égard, il est important de souligner que le mandat de la Commission est, me semble-t-il, de mener une investigation sur la gestion publique d’une période donnée et non sur elle-même, ses membres ou d’autres personnalités politiques. Curieusement, certaines personnes ne semblent pas vouloir comprendre, ou accepter, ce mandat.
Cette Commission est la bienvenue et doit bénéficier d’un vaste consensus politique des nationaux et de nos partenaires. Je la vois aussi comme une mesure de prévention et de dissuasion contre les incuries des élites publiques et privées en Mauritanie et dans la région. Diriger un Etat n’est pas un butin de guerre.
Propos recueillis par Moussa O. Hamed
RMI Biladi