A la lecture des rapports d'institutions internationales notamment la Banque Mondiale, l'OCDE ou la BAD, de mauvaises perspectives planent en 2020 en Afrique avec la Covid19. Comment le continent africain pourrait-il se relancer?
Penser à surmonter de manière rapide la crise de Covid19 serait un acte de foi pour l'Afrique malgré qu'elle soit pour le moment le continent le moins touché grâce vraisemblablement à l'atout de la jeunesse de sa population dont 60 % ont moins de 25 ans. Les perspectives mondiales sont très incertaines. Vous l'avez dit, la Banque Mondiale dresse un tableau sombre des perspectives en 2010 pour l'Afrique. Dans un de ses récents rapports, elle a montré clairement que la crise de la Covid-19 risque de provoquer une crise alimentaire en Afrique. Elle estime que la contraction de la production agricole risquerait d'atteindre entre 2,6% dans le scénario optimiste et jusqu'à 7% en cas de blocages commerciaux du fait que les pays se sont repliés sur eux en fermant leur frontière provoquant un fort recul des importations de denrées alimentaires de 13 à 25% L'Organisation de coopération et de développement économique (Ocde) est formelle, le virus du Coronavirus (Covid19), même mondial, rencontre des réalités locales qui ne sont que propres à l'Afrique de l'Ouest. Par exemple, comment en Afrique de l'Ouest on pourrait se protéger contre la Covid19 si on a un accès limité aux installations de base pour le lavage des mains' Dans une telle région où la plupart des populations habitent une agglomération urbaine très dense, que faire pour respecter la distanciation socialé Que se passe-t-il quand confinement rime avec perte des revenus et des moyens de subsistancé Pour sa part, la Banque africaine de développement (Bad) en mettant en place le projet d'appui en faveur des pays membres du G5 Sahel pour la lutte contre la Pandémie àCoronavirus(Covid-19) anticipe sur les difficultés de ces pays en pareil contexte de pourvoir faire face à la fois à l'enjeu sécuritaire et épidémique.
Comment l'Afrique doit juguler sous industrialisation et politiques économiques viables pour des économies plus résilientes'
Dès lors, une quelconque relance se fera ou ne se fera pas sans véritablement penser à l'industrialisation (entendez par là industrialisation agricole, industrialisation médicalé) du continent. Aujourd'hui, le PIB industriel demeure très faible dans toute l'Afrique. C'est un réel indicateur de la sous-industrialisation du continent qui ne laisse apparaitre qu'une classe moyenneafricaineencore faible comptant 150 millions d'individus en 2018, unchiffrequi devrait bondir à 210 millions d'ici à fin 2020 et 490 millions en 2040 sur une population estimée à 2 milliards d'individus à l'horizon 2050. A côté de la plupart des systèmes sanitaires des pays du continent demeurant vulnérables et fragiles, tout cela laisse à croire que beaucoup de facteurs seraient susceptibles de contrarier les mesures d'endiguement et d'atténuation mises en place, pour une relance ou une reprise économique envisageable. Au Sénégal par exemple est notée une densité de médecins de 0,7 pour 10000habitants et plus d'un tiers des habitants de l'Afrique de l'Ouest n'ont pas d'installation pour se laver les mains chez eux, il ne serait pas ubuesque de penser que la tâche reste titanesque dès lors qu'il s'agira de juguler à la fois les réponses budgétaires intégrant les interventions de protection sociale nécessaire destinées aux ménages et au secteur informel d'une part et d'autre part bâtir et redynamiser à la fois un système sanitaire viable concomitamment à la capacité à mobiliser les ressources nécessaires au financement des programmes de relance seul gage à semer les graines pour une relance et pour rendre nos économies plus résilientes.
Le continent africain peut-il compter sur la clémence des bailleurs pour une annulation de la dette et au pire des cas un report des échéances du service de la detté
Très probablement, on pourrait répondre par l'affirmative au regard des différentes initiatives notées depuis l'apparition de la covid-19. On se rappelle encore de l'appel du Président de la République Macky Sall pour l'annulation de la dette publique africaine qui avait suscité un écho favorable avec l'invite du Pape François pour une réduction ou annulation de la dette qui pèse sur les budgets des pays les plus pauvres. Par la suite le Sénégal a participé à l'Initiative de suspension du service de la dette (Issd) qui s'est matérialisée par la suspension du paiement du principal et des intérêts dus à l'ensemble des créanciers du secteur bilatéral officiel jusqu'au 31 décembre 2020 pour un montant de 90,57 milliards de francs CFA (137 millions d'euros), soit 13,51% du service de la dette extérieure dû en 2020. Au fond, c'est véritablement un mixte de décisions (une dose d'allégement, une dose d'annulation et une dose d'accompagnement de financement concessionnel des institutions financières) qu'il faudrait concevoir.
Beaucoup de pays ont manifesté leur participation à l'Issd, mais y a-t-il des initiatives régionales pour la relance économiqué
Le processus est enclenché. Déjà les institutions financières africaines proposent des réponses assez ambitieuses. La BAD met en place une obligation sociale «Combattre l Covid-19» de 3 milliardsUSD et une facilité de réponse à la Covid-19 de10milliards USD. La BCEAO appuie (même si elle peut être jugée de timorée) les établissements de crédits et des entreprises pour les aider à faire face à l'épidémie. La BOAD accorde 120 milliards FCFA de prêts concessionnels pour financer des mesures d'urgence dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire. Suite à la proposition faite auG20 d'accorder un financement d'urgence de150milliardsUSD au continent, les ministres africains des Finances ont coordonné un appel à une relance économique immédiate à hauteur de 100 milliardsUSD. Le Fonds monétaire international (Fmi) a approuvé un allégement immédiat de la dette de25pays pauvres au cours des 6 prochains mois. Parmi ces pays, 11 se trouvent en Afrique de l'Ouest: Bénin, BurkinaFaso, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Libéria, Mali, Niger, Sierra Leone, Tchad et Togo. C'est dire que même si Cesar Calderon, économiste principal à la Banque mondiale, estime que «les mesures immédiates sont importantes, mais seul un allégement de dette permettra d'injecter les ressources indispensables pour lutter contre la pandémie et préserver la stabilité macroéconomique de la région», pour ma part il est vital, et j'en suis convaincu, pour le financement des projets ambitieux de développement d'aller plus loin, c'est à dire, penser à une annulation pure et simple ne serait-ce qu'une partie d'une certaine dette dite multilatérale et/ou bilatérale.
De manière générale la mise en place de la zone de libre-échange est-elle une opportunité pour la CEDEAO, l'UEMOA et le Sénégal en particulier?
Elle peut l'être. En réalité pour faire de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) un pari gagnant-gagnant pour tous les pays de la CEDEAO, de L'UEMOA et pour le Sénégal, certains préalables assez importants s'imposent. Ils passent notamment au renforcement des capacités productives, à l'amélioration des infrastructures liées au commerce, à l'accessibilité au financement du commerce pour une facilitation des échanges. Véritablement, la mise en oeuvre de la Zlecaf offre une opportunité de diversification économique par le biais de la création de chaînes de valeur régionale intégrées, ainsi que du démantèlement des barrières tarifaires et non tarifaires.De ce point de vue, c'est sans nul doute que la Zlecaf constitue une véritable opportunité au sens que les secteurs d'activités (l'agriculture, l'élevage, les industries alimentaires, les industries extractives, chimiques, de tabac...) mais également le pouvoir d'achat des ménages connaitront une amélioration notoire. C'est dire que laZlecaf est aujourd'hui plus pertinente que jamais. Elle a le potentiel de stimuler le commerce intra-africain, de promouvoir une intégration régionale plus forte et, à terme, des économies plus résilientes face à une récession mondiale. Dans cette perspective de l'après Covid19, la Zlecaf pourrait servir d'amortisseur efficace à la crise selon Mayaki; cette pandémie serait alors l'occasion d'accélérer encore l'intégration à travers le continent.
Il n'y a-t-il pas urgence de rebâtir notre modèle économique, bâti sur l'industrialisation, le numérique, l'éducation'
Ce virus fera plus de mal à l'économie qu'à la santé. Je suis formel. L'ADN (Acide désoxyribonucléique) de l'économie des pays africains c'est l'informel. En Afrique de l'Ouest, l'informalité est une réalité au vu de son poids. Ce sont pour la plupart des économies qui se caractérisent par un sous-emploi, l'insuffisance de la demande effective. De ce point de vue, toutes mesures de confinement (partiel, mobil, total') se transforment très rapidement en confinement des revenus et un tarissement des ressources. En réalité, elles sont victimes de cercle vicieux de la pauvreté (Nurske) ou sont en situation d'équilibre de la pauvreté (Galbraith) qui fait qu'il est vital alors de mettre l'économie informelle au coeur des politiques publiques à l'échelle continentale.
Comment s'en sortir de cette situation qui perduré
Pour pallier à tout cela, il urge de repenser un modèle économique de développement fondé sur des stratégies de développement que nous recommandons sur trois points; des stratégies de développement à partir de trois (3) politiques d'industrialisation dite par promotion des exportations soit par substitution d'importation accompagnée d'un certain protectionnisme dans les secteurs concernés soit par substitution d'exportation basée sur le développement d'une industrie nationale; la création d'entreprises publiques, la planification et l'intégration économique régionale, notamment sur le plan industriel pour remédier au problème de l'étroitesse du marché; l'augmentation du degré d'industrialisation de l'agriculture; un véritable programme de développement agricole afin de remédier à la priorité accordée à l'industrie (lourde) considérée comme activité novatrice et moteur de développement au détriment de l'agriculture considérée comme dynamiquepassant par l'accroissement de la productivité, les réformes agraires, le développement rural'.
Somme toute, le grand exercice à réussir et sur lequel est attendu les grands leaders de ce continent subsiste dans le choix d'un développement autocentré ou d'un développement extraverti dès lors que nous savons qu'il s'agit aujourd'hui d'une désarticulation de nos économies et que nous savons également que la croissance du secteur moderne ne se propage pas au secteur traditionnel.
THIERNO THIOUNE MAITRE DE CONFERENCES TITULAIRE EN ECONOMIE A L’UCAD