Bounti au Mali: L’armée française admet une frappe mais exclut des «dommages collatéraux»

L’état-major a publié un communiqué sur le bombardement de dimanche près du village de Bounti. Il maintient que la cible était un «rassemblement de membres d’un groupe armé terroriste».

Sous pression, l’armée française a livré une série de détails, dans la nuit de jeudi à vendredi, sur la frappe aérienne menée dimanche dans la région de Douentza au Mali. Depuis plusieurs jours, des témoignages concordants d’habitants de la zone, recueillis notamment par Libération, indiquaient qu’un mariage avait été bombardé ce jour-là à proximité du village peul de Bounti, faisant 19 victimes.

Le communiqué de l’état-major clarifie plusieurs points. La frappe de dimanche, effectuée vers 15 heures, est bien celle de Bounti. Chose rarissime, l’armée française donne ses coordonnées précises : «La frappe (trois bombes) est localisée en 30 PWB 4436 83140, à plus d’un kilomètre au nord des premières habitations de Bounti. Il s’agit d’un espace ouvert et semi-boisé.» Une description conforme aux récits des villageois, qui évoquaient un rassemblement des hommes invités à la noce – les jihadistes imposent une stricte séparation des sexes dans la zone – «sous les arbres, à quelques centaines de mètres du village». Le terrain est «le champ du père de la mariée», précisait un autre habitant. Quant aux «trois bombes» lâchées par «une patrouille de deux Mirage 2000», elles confirment également le récit fait par des rescapés à Libération.

«Identification formelle»

La question de l’auteur de la frappe est donc résolue. Reste à éclaircir ses circonstances et l’identité des victimes. L’état-major, dans son communiqué, revient sur les observations qui ont précédé le tir : «Dans cette zone, plus d’une heure avant la frappe, un drone Reaper a détecté une moto avec deux individus au nord de la RN16. Le véhicule a rejoint un groupe d’une quarantaine d’hommes adultes dans une zone isolée. L’ensemble des éléments renseignement et temps réel ont alors permis de caractériser et d’identifier formellement ce groupe comme appartenant à un GAT [groupe armé terroriste, ndlr]. L’observation de la zone pendant plus d’une heure et demie a également permis d’exclure la présence de femmes ou d’enfants», explique l’armée française.

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Quels éléments ont conduit à cette «identification formelle» ? «Le comportement des individus, des matériels identifiés ainsi que du recoupement des renseignements collectés», dit le communiqué. Sans préciser toutefois en quoi consistent ce «comportement» et ce «matériel». Des armes ont-elles été repérées ? Des mouvements permettant de détecter des combattants ? En milieu peul, il est tout à fait commun que les hommes s’éloignent du village le jour du mariage pour «chercher une bonne ombre» ou pour «être à côté du bétail», commentent des personnes familières de la zone, en particulier dans les familles d’éleveurs. Quels critères, dès lors, ont permis aux soldats français de différencier un groupe de villageois d’un rassemblement jihadiste ?

Profil de groupe

La liste nominative des victimes dressée par l’association Jeunesse Tabital Pulaaku – non vérifiée de source indépendante pour le moment – donne de premiers éléments de réponse : la majorité des hommes tués ont plus de 40 ans (13 sur 19) et ils sont presque tous des habitants de Bounti (15 sur 19). Parmi eux, beaucoup appartiennent aux mêmes familles. Ces trois informations, si elles venaient à être confirmées, dessinent un profil de groupe plus conforme à la foule d’un mariage qu’à une bande d’islamistes armés. «Aucun élément constitutif d’un rassemblement festif ou d’un mariage n’a été observé», insiste Barkhane. Dans cette région sous emprise jihadiste, les mariages ne sont jamais «festifs», expliquent tous les connaisseurs de la zone, car de telles cérémonies sont strictement prohibées.

L’état-major, pourtant, semble ne laisser aucune place au doute : «Les éléments disponibles, qu’il s’agisse de l’analyse de la zone avant et après la frappe, comme de la robustesse du processus de ciblage, permettent d’exclure la possibilité d’un dommage collatéral.» Pour le démontrer, l’armée française devra certainement aller plus loin dans ses explications.

Célian Macé

sam, 09/01/2021 - 09:59