Il y a quelques jours, on annonçait l’imminence d’un dialogue. Monsieur Sidi Mohamed Ould Taleb Amar, le président de l’UPR, aurait fait l’annonce précisant qu’il s’agira d’un dialogue social et non politique. Le but de ce dialogue, selon Ould Taleb Amar, serait de régler les problèmes qui entravent le renforcement de l’unité nationale.
Cette sélectivité de thème du dialogue fera couler beaucoup d’encre et de salive. Des analystes chevronnés se sont étonnés de cette précision, soutenant que toute discussion sur les questions sociales qui se posent dans le pays amènerait inéluctablement à parler de politique.
D’autres iront plus loin, proposant que le plus grand frein au raffermissement de l’unité nationale serait l’absence de démocratie, de justice et d’égalité dans le pays ; une situation voulue et maintenue par un système militaro-politico-affairiste qui s’est accaparé du pouvoir, de tout le pouvoir, depuis un certain 10 juillet 1978.
Un dialogue sincère inclurait normalement des questions liées à la formation de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), du fichier électoral donc de l’accès à l’Etat civil (par l’enrôlement des citoyens) et celui du Conseil constitutionnel.
Des discussions autour de ces questions, en cas de réussite du dialogue, aboutiraient à la création de conditions favorables à l’alternance au sommet de l’Etat ce qui semble être exclu du plan de ceux qui nous gouvernent. Le patron de l’UPR aurait, tout simplement, bavardé un peu plutôt et de trop. Un dialogue est bel et bien en préparation.
Ceux qui disent vouloir organiser un dialogue social, alors qu’ils ne sont pas en mesure d’écouter l’orphelin ni la veuve, pourraient-ils avoir de compassion pour un peuple meurtri qu’ils ont de tout temps jugé déjà bien logé et bien traité ? Les deux demandes d’audience parvenues au cabinet du président de la république de la part du collectif des veuves et de celui des orphelins des victimes des exécutions extra judiciaires des années 86 – 91, sont restées lettres mortes ; mère Houleye Sall, madame Maîmouna Alpha Sy, Bocar Lamtooro Camara, Hawa Mamoudou Dia et leurs camarades attendent encore d’être reçus par le président de la république.
Les Droits de l’Homme ne s’en portent pas mieux ; les abolitionnistes continuent à être empêchés dans leur travail pendant que les donneurs d’alertes (blogueurs) et les journalistes se font emprisonner encore ; les étudiants subissent des tortures publiques parce qu’ils veulent s’inscrire à l’université.
L’objectif de « leur dialogue » sera de distraire les mauritaniens mais aussi de domestiquer davantage une certaine opposition politique qui ne sait plus où donner de la tête.
D’après certaines sources journalistiques, la manœuvre en cours est encore plus profonde... Il s’agirait d’initier un dialogue tel qu’Ali Baba nous l’a joué déjà à deux reprises. Cette opposition qui se plait à se faire tromper parce qu’elle n’a plus de choix, légitimera son entrée à un gouvernement, dira-t-on, de consensus national.
Des groupes de l’opposition qui ont vu les rangs de leur personnel politique rétrécir au fil du temps, à l’épreuve de leur absence de vision, seront contraints d’aller au souper et au partage du gâteau ; les derniers soutiens seront retenus à ce prix. Les temps sont durs et à leurs yeux les rivages sont verts.
Ainsi, seront remises aux calendes grecques les chances d’un dialogue franc et inclusif qui pourrait apporter les changements nécessaires pour une vraie unité nationale, loin des slogans pompeux et creux d’aujourd’hui.
Des autorités qui tâtonnent
Le lendemain de l’élection du président Ghazouani en 2019 a été chaotique mais la forte volonté de dépassement des acteurs de l’opposition politique a pris le dessus ; les mauritaniens ont préféré faire table rase des contentieux et regarder vers l’avenir. S’ensuivirent les rencontres du président Ghazouni avec les principaux leaders de l’opposition.
Ces rencontres ont renforcé la détermination de tous d’aller de l’avant, forts des promesses faites par le président Ghazouani de créer un espace de concertation où toutes les problématiques d’importance nationale seront discutées en vue de leur résolution. Au bout des cents jours, habituellement considérés comme premier repère d’évaluation d’un président nouvellement élu, beaucoup sont les mauritaniens qui ont commencé à déchanter.
Certains expliquent sa lenteur par son statut de « marabout » calculateur, d’autres le trouvent tout simplement faible alors que beaucoup parmi les mauritaniens pensent qu’il est encore tenu par « les quarante voleurs » d’Ali Baba qu’il croit pouvoir recycler.
A notre niveau, nous privilégions la thèse de l’incohérence doublée de l’incapacité d’un régime qui fait du « surplace » et s’évertue à vouloir du nouveau avec du vieux, tant avec les acteurs que dans les habitudes qui, durant des décennies, ont produit les résultats dont tous les mauritaniens sont témoins.
Un responsable au Ministère du Développement Rural, réagissant à nos observations sur la gestion actuelle des affaires publiques, nous a rétorqué qu’il faille considérer l’impact négatif de la pandémie de COVID 19 qui a ralenti, voire freiné les programmes et projets gouvernementaux de développement.
Justement, venons-en à la gestion de la pandémie par les autorités du pays. Bien qu’elle soit d’une importance capitale, nous ne nous attarderons pas sur la gestion médicotechnique de la pandémie que nous laissons volontiers aux spécialistes du domaine.
A la grande satisfaction des mauritaniens, le président de la république Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, dans une adresse à la nation le 25 mars 2020 a annoncé la création d’un fonds national de solidarité sociale pour lutter contre le coronavirus et ses conséquences. Ce fonds, à l’époque était déjà doté de 25 milliards MRO et a été ouvert aux contributions volontaires qui l’ont considérablement renforcé.
Entre-autres objectifs, ce fonds devrait servir à soulager la vie des mauritaniens dont les revenus ont été fortement affectés par les mesures de restrictions décidées par le gouvernement pour prévenir et lutter contre la propagation du coronavirus. Ces mesures bien que difficiles étaient nécessaires et ont été relativement efficaces.
Au lieu d’aider à maintenir les emplois et à encourager les activités du secteur informel qui emploie le gros des travailleurs mauritaniens, les autorités ont décidé de distribuer des kits alimentaires aux familles démunies.
Des kits qui sont arrivés à une infime partie des familles recensées et pourtant jugées nécessiteuses. Où sont passées les denrées alimentaires qui avaient été pourtant achetées pour l’occasion ? A l’exemple d’un quartier de Riyad, sur plusieurs dizaines de familles enregistrées et considérées vulnérables, seules trois ont reçu, chacune une seule fois et un seul kit alimentaire.
En pleine pandémie, nous avons été à quelques endroits, pour différentes missions à l’intérieur du pays (départements de Bassikounou, Fassala, Mbout et Boghé) où de nombreuses populations locales se sont senties laissées pour compte.
Au même moment, nous avons vu les images d’un certain Paul Kagamé, président du Rwanda, entrain de participer à la distribution de vivres aux populations de son pays. Ici, des listes sélectives non pas été dressées, l’équipe que le président Kagamé dirigeait faisait du porte-à-porte, toutes les familles en bénéficiaient, sans exception.
Nous savons que la Mauritanie n’est le Rwanda et que le Président Ghazouani n’est Paul Kagamé même si tous deux sont issus du sérail militaire et arrivés au pouvoir, directement ou indirectement, par la force de la baïonnette ; l’un en putschiste en second et l’autre en rebelle.
Alors, où sont passés les dizaines milliards de nos ouguiyas qui ont été collectées pour alimenter le fonds de solidarité sociale « COVID 19 » ? Le président Ghazouani, lors d’une réunion sur le travail de la commission interministérielle, a déploré la mal gestion du fonds.
Il a été d’ailleurs annoncé que l’Inspection Générale de l’Etat (IGE) se chargerait de contrôler la gestion du fonds et depuis, aucune nouvelle de cette promesse. Les mauritaniens attendent encore la vérité.
Ici et ailleurs, le gouvernement a bien montré ses limites. Ceux qui par le passé, ont côtoyé le Premier Ministre (PM) Mohamed Ould Bilal et travaillé avec lui, parle d’un professionnel intègre de haut niveau ; mais les seules qualités du PM ne suffisent pas ; un gouvernement c’est un tout.
Les incompétences ici et là ont eu raison de l’efficacité gouvernementale. Nous ne sommes pas convaincus et pouvons donner un chapelet d’exemples sur les activités gouvernementales et les programmes en cours. Ici, parlons de la politique de lutte contre le chômage.
Quand un concours est ouvert pour le recrutement dans le secteur public, pour cents (100) postes à pourvoir, il arrive que le nombre des candidats atteigne quinze mille (15000) ; cela dit long sur le niveau du chômage dans le pays. L’une des réponses gouvernementales au chômage est la phase 1 du programme « Mon projet, mon avenir » annoncé par le Ministère de l’Emploi, de la Jeunesse et des Sports en grande pompe et lancé en janvier 2020.
Seuls cinq cents (500) diplômés chômeurs en ont bénéficié pour l’année écoulée. A ce rythme, il faudra 542 ans pour insérer les 271 000 diplômés chômeurs recensés par le Ministère de l’Emploi, de la Jeunesse et des Sports et c’est à supposer que les 50 à 60 mille nouveaux diplômés ne viennent pas agrandir le rang. Nous avons rencontré un bon nombre de bénéficiaires du programme en cours, ils peinent à lancer leurs projets. Qui est ce qui n’a pas bien tourné ? Des projets mal ficelés et pourtant admis au financement ? Des lenteurs au niveau du Ministère de tutelle ?
Aux autorités actuelles, nous disons qu’il est temps de poser des actes forts pour limiter les souffrances de ceux d’en bas, nombreux que nous sommes. Aujourd’hui, les mauritaniens dans leur écrasante majorité doutent du lendemain, ils pensent que notre bateau commun – la Mauritanie – est mal conduit.
Les nombreux militants et sympathisants du Parti RAG avec lesquels nous échangeons quotidiennement nous disent leur désespoir ; ils pensent généralement que les actes posés jusque-là ne militent pas en faveur de la rupture avec les pratiques tant décriées de l’ère de « Ali Baba et les quarante voleurs ».
La quasi-totalité des mauritaniens sont soumis à la disette, les denrées de première nécessité sont de moins en moins accessibles. Les prix des denrées alimentaires ont augmenté de façon vertigineuse, certains ont connu une hausse jusqu’à 30 %. Les revenus de la plupart des mauritaniens ne leur permettent plus de couvrir les besoins alimentaires des familles. La situation est cruciale, l’on se demanderait qui est ce qui ne fonctionne pas et cause le défaut de régulation des prix. Que dire du département de l’action sociale ?
Balla Touré
Ingénieur Agronome/spécialisé en environnement
Secrétaire général du Parti RAG