"Ils sont accompagnés de gens blancs, yeux bleus ; leurs traits, la langue qu’ils parlent, sont bien différents que ceux "des blancs", que nous avons connus, naguère, dans nos contrées."
Ainsi m’a décrit, au téléphone, un nomade soixantenaire, d’une voix circonspecte, mais grave, il y a deux jours, les accompagnateurs d’une unité de l’armée malienne, qui effectuait une opération de ratissage autour de quelques puits artésiens, non loin de la frontière mauritanienne.
Ce sont des puits auxquels s’abreuvent, habituellement les éleveurs mauritaniens, en transhumance, en cette période de l’année de l’autre côté de la frontière de leur pays. Et c’est dans cette même zone, selon les témoignages des autochtones, où plus d’une dizaine de ressortissants mauritaniens ont été tués.
"Ils sont plus violents que les "nçara" ( français, ndlr), que nous avons connus auparavant, dans cette zone, surenchérit, mon interlocuteur, du nom de Abdatt. " Ils ne sourient pas, ils ne parlent que très rarement, pour proférer quelques incompréhensibles mots, qui ne disent que cruauté et agressivité. Je n’ai compris aucun des mots proférés par cet homme blond armé, poursuit Abdatt.
"J’aurais bien préféré qu’il se taise à jamais, lorsque j’ai été témoin des actes, qui ont suivi ses propos parcimonieux", poursuit Abdatt, sa description des éléments armés du groupe de Wagner russe, "qui épaulent, désormais, une unité de l’armée régulière malienne".
La description de ce nomade mauritanien est certes spontanée, mais elle traduit, avec précision et profondeur, la situation actuelle et future au Mali. Les populations au nord du Mali commencent déjà à sentir chez les nouveaux compagnons russes de l’armée malienne, une fébrilité évidente, comme frappés d’une rage colérique et d’une véritable hystérie démentielle. Une telle situation me rappelle un peu un article que j'avais écrit, il y a dix ans et qui a été publié, à l’époque, sur le site du Centre 4S, dans lequel j'avais pu, à travers un appel téléphonique similaire, prédire le chaos sécuritaire, au nord Mali, bien avant les cercles officiels régionaux, à cause, justement, des débordements conséquents à l’émiettement de l’Etat libyen.
Je me souviens encore de ce témoignage d’alors, tout aussi spontané, décrivant les nouveaux arrivants de la Lybie, dont les profils décalaient de celui des éléments armés, qui opéraient généralement, au nord malien. Ceux-là, ne portaient ni de barbes touffues ou hirsutes, ni de soutanes courtes, encore moins ne proféraient Allahou Akbar, lorsqu’ils sont en action.
Pourquoi les Russes s’intéressent au Sahel ?
Après la seconde guerre mondiale et le processus de décolonisation, une nouvelle vision géopolitique, à visée économique, allait devenir la clé de voute, qui permettrait de décrypter les nouveaux enjeux, nourrissant les nouveaux conflits internationaux. Les velléités économiques restent donc l’élément déterminant de la reconfiguration de la nouvelle carte géographique postindépendance.
On ne saurait comprendre l’intérêt russe pour le Sahel, en dehors de ce paradigme. Un Sahel, qui constitue, de facto géographique et stratégique, un passage obligé du gazoduc, annoncé en 2016, devant assurer le ravitaillement de l’Europe, à partir du Nigéria. Ce projet, qui a inauguré, depuis 2018, la nouvelle phase de signatures de conventions, et qui constitue le plus grand ouvrage infrastructurel que le continent africain ait connu, devrait traverser, par ses 56000 km de conduite, onze pays.
Ce projet n’est pas seulement une alternative stratégique et adéquate de celui de l’Algérie ( un pays de surcroit allié traditionnel de la Russie dans la sous région), qui devrait ravitailler l’Europe, mais qui a été arrêté à cause de la crise avec le voisin marocain, mais il constitue une concurrence de taille et sérieuse pour le gazoduc russe, qui alimente déjà une bonne partie de l’Europe. L’annonce, qui a été faite en octobre dernier, par le ministre de l’Energie algérien, Mohamed Arafatt, relative à la relance d’un projet de raccordement de gazoduc algérien et nigérian (décidé depuis 1999, qui demeure jusqu’à ce séjour en l’état d’annonce), ne saurait être étranger à ce contexte.
. Sous le slogan " l'investissement dans le continent de l'économie de l'avenir", et dans un contexte prometteur pour l’énergie, la Russie semble visiblement être décidée d’opter pour les crises, une entrée on ne peut plus de vigueur, comme porte d’accès au continent africain. Elle s’inspire d’ores et déjà de son expérience en Libye, de son relatif succès en Afrique Centrale, tout en profitant du délitement des relations franco-maliennes, elle a décidé de soutenir le colonel malien, Goïta Assimi, en offrant une substitution armée à la force de Barkhane et celle de Katuba, au Mali. C’est un peu une réédition du scénario diplomatico-militaire en Afrique Centrale.
Il s’agit-là d’autant de facteurs géo-économiques, outre les velléités expansionnistes de Poutine, qui expliquent la présence croissante des russes au Mali. Wagner saurait-elle croître au Sahel ?
Il est certains que les sanctions engagées, par la communauté internationale contre la Russie, à la suite de son agression de l’Ukraine, pèsent déjà sur l’agresseur et risquent bien d’affaiblir son économie et donc limiter sa capacité de nuisance. Toutefois, la Russie pourrait envisager des scénarios de représailles à l’encontre des intérêts occidentaux dans le monde. Poutine n’a-t-il pas annoncé que la Russie entend bien faire une riposte et avec force, en réaction aux sanctions décidées par les britanniques contre elle.
Les derniers événements coïncident par une visite, effectuée, en russie, en catimini ou presque, de hauts gradés de l’armée malienne, le ministre de la défense malienne, le colonel Sadio Camara et du chef d’Etat-major de l’armée de l’air, le général, Allou Boï Diarra. Ces deux hommes, considérés comme les véritables artisans du basculement de Bamako vers Moscou, et qui ont piloté le déploiement de Wagner au Mali, débarquent dans la capitale russe, deux semaines après le déclenchement des hostilités contre l’Ukraine.
Si la guerre contre l’Ukraine allait affecter sérieusement la force de frappe russe, réduisant ainsi les ambitions de Poutine ; est-ce qu’elle ne pousserait pas ce dernier à tenter, par le biais de Wagner au Sahel, de saboter les projets de la société britannique British Petroleum ( BP), notamment, en Mauritanie et Sénégal ?
Les dernières exactions, (trois à ce jour en un laps de temps assez court), dont ont été victimes des ressortissants mauritaniens, seraient-elles d’inspirations russes ?
L’inquiétude demeure bien permise et surtout d’actualité, dans un contexte où BP déclare son intention de retrait de la Russie, au moment où elle promet un redoublement accéléré de ses efforts, dans le cadre de l’exploitation du gaz, au niveau des puits Ahmeyim, Bir Allah, à la lisière des frontières mauritano-sénégalaises ! Des frontières, qui ne sont, il faut bien le signaler, très lointaines du territoire malien, où Wagner fait loi et foi désormais depuis quelque temps.
Haiba Cheikh Sidaty