Mohamed et Saïdou : Une rencontre à l’exil ( de la page Facebook de l'illustre éditorialiste mauritanien Ahmed Ould Cheikh)

Lors d'une séance, un de mes amis m'a raconté cette histoire émouvante:

À la fin des années 70, il a obtenu une bourse au Canada.

L’envoutante Montréal, une ville qui capture l'âme avec son emplacement unique, où l'on dort dans les bras du fleuve Saint-Laurent.

Montréal, la ville pleine de mouvement et de lumière, avec ses géants immeubles construits sur une haute crête, descendant vers l'ouest des rives du fleuve Saint-Laurent, se dirigeant vers le Mont Royal, d'où la ville tire son nom, là où les deux fleuves se rejoignent, la rivière des Outaouais et le fleuve Saint-Laurent.

Malgré son charme envoûtant et son bruit accablant, Montréal était pénible pour moi, dit Mohamed. Je n’ai pas connu les cités rugissantes qui ne dorment pas, dont les nuits sont comme leur jour. Elle ne m’a pas plu, moi qui vient tout seul des villes du sel et du vent.

J'étais rongé par la solitude et consumé par la routine mortelle qui tourne entre l’amphi, la bibliothèque, le resto et la chambre

J'étais le seul Mauritanien à l'université. La communication n'était pas disponible et la seule nouvelle résidait dans un message par lettre ou cassette audio tous les trois ou quatre mois l'informant de ce qui s'était passé. Il devient fou de joie quand il recevait une cassette enregistrée par les parents.

Les cassettes que Mohamed avait apportées avec lui de "mountebeth el aghsa"* (paria lointain)*, étaient un antidote, à chaque fois que la solitude et la nostalgie l'accablaient.

Il alternait entre Néma, Sidaty et Ould Aoua et des cassettes enseignant Azawane et les histoires qu’elles véhiculent

Un jeune mauritanien Pulaar appelé "Saîdou" a débarqué, lui aussi, à l'Université de Mohamed. Son cas était comme le mien, un solitaire

Alors qu’il se promenait au cours de l’une de ses nuits blanches, entre les chambres d'étudiants du dortoir universitaire, Saïdou crut entendre une musique mauritanienne !!

Il s'est approché de la pièce et a crié : Nema Mint Choueikh chantait. Il resta un moment à écouter, ne croyant pas ses oreilles, priant Allah de le préserver de tout mal des démons, retournant vers sa pièce.

Il passa la seconde nuit à la même heure et entendit par pur hasard, Ould Aoua psalmodiait. Son cœur commença à battre.

Oh Dieu, ils sont très terrifiants ces diables qui ont le pouvoir d’imiter les maures dans un endroit séparé de la terre des bidhanes par la mer agitée des ténèbres, se dit-il dans son for intérieur, revenant vers sa chambre en se frottant les oreilles et en lisant le verset du Trône (Ayetou El Koursiye).

Il rassembla tous ses efforts la troisième nuit, se disant, ce que j’ai entendu était une réalité et qu’il doit s’armer de courage et connaître la vérité.

Il passe de nouveau au même moment. La voix était faible, mais il s’approcha davantage de la porte et colla son oreille, entendant Sidaty fredonner de sa belle voix.

Saïdou dit : "C'est de la musique mauritanienne authentique, et cette voix m'est familière à la radio, pendant les belles nuits d'été, dans le luxe des temps calmes au pays."

Il mit en toute douceur sa main sur la porte sans la frapper, puis s'est retenu un instant, avant de taper le bois.

La voix de la magnéto dans la pièce se tut.

Mohamed pensa que c’est l’un de ses voisins dérangés par le bruit, qui a frappé la porte, fermant du coup la musique.

Quelques minutes plus tard, Saïdou tapa de nouveau à la porte.

Mohamed n'a pas bougé, car il n'attend pas de visiteur à cette heure de la nuit et n'a de relation avec aucun des étudiants de l’Université pour pouvoir frapper le bois à cet instant !

Au bout d'un moment, Saïdou tapa à la porte pour la troisième fois et cria : « Tabato, ouvre, Gassar Oumrak »

Dès que Mohamed entendit cette expression, son cœur sursauta. Il se dirigea avec précipitation vers la porte.

Il l’ouvrit, se jetant dans les bras de Saïdou, comme s'il étreignait son père, demeurant tous les deux, les larmes coulant, collés l’un à l’autre.

Saïdou était le don du destin, dit Mohamed. Sa présence a illuminé les nuits de Montréal et a versé de la chaleur sur la gelée de ses jours.

Une des choses étranges chez Saïdou, c’est le fait que sa langue a prononcé le Hassaniya, alors qu’il me jura, qu'il ne savait pas qu’il ne la connaissait pas, comme si une barrière imaginaire qui la séparait de lui a disparu en quelques secondes, comme si son esprit l’intériorisait, la sentait et ne s’y frottait pas.

Mohamed dit: J'ai découvert moi aussi que je connais des mots du Poular et que cette langue n’était interdite à aucun mangeur d'en manger. Ma conversation avec Saïdou a oscillé entre le Hassaniya et le Poular

Notre thé vert, que nous préparons était une nation modérée, pas aussi dur que le thé des gens de Saïdou, ni léger comme le thé des miens

Saidou est devenu un "accro" du Tichtar alors que je suis devenu un passionné de Goura.

Dans les cassettes enregistrées des parents, ma famille avait l'habitude de saluer Saïdou alors que dans celles venant du département de Maghama dans la région du Gorgol, où se trouvent les parents de Saïdou, ces derniers me saluaient en Hassaniya tandis que sa mère était plus "maure" que « Tidinit Ould Beibou ».

Nous avions l'habitude de recevoir des cadeaux de nos familles. La mère de Saidou m'a envoyé un chapeau de frondes arrondies pour me protéger de la chaleur du soleil, ne sachant pas que nous étions dans un pays dont les baleines meurent de froid.

J'avais une relation de fraternité incomparable avec Saïdou, dit Mohamed. Pendant les vacances, il avait l'habitude d'aller avec moi vers le village et j'allais souvent avec lui à Maghama. J’ai découvert que peu des membres de sa bonne famille ne connaissait pas le Hassaniya.

Les porteurs de bois, que l'on appelle métaphoriquement les politiciens, profitent de certaines différences qui sont une source de richesse, pour les transformer en querelles afin d'attiser le feu du sectarisme et de la sédition.

La fraternité de l'Islam et le lien de la patrie sont plus forts que nos disputes, c'est nous qui avons créé l’imaginaire de l'autre et à part cela, nous sommes une seule nation.

Pendant l’exil, Mohamed a découvert qu'il était Saïdou et Saïdou a remarqué que Mohamed n'était cet autre ni l’autre, mais qu'il était Saïdou en personne.

C'était le résumé de la relation de Mohamed et Saïdou

Je me suis rappelé de l’histoire de Mohamed et Saïdou, lorsque Souleymane Diallo se joignit, dans sa descente de l’hélicoptère de la dernière chance, au miraculé Cheibou du barrage de Boumedeid, après 24 heures de suspens et se sont hissés en l’air comme un seul homme

Amicalement

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* La Mauritanie est appelée mountebeth el aghsa (paria lointain) en raison de son éloignement de la carte des pays arabes, à l'extrême ouest du continent africain. Peut-être que ce titre a poursuivi la Mauritanie jusqu'à aujourd'hui, car les crises traversées par cet Etats lointain sont rarement prises en considération parmi les principaux enjeux arabes, malgré certaines d’elles qui ont frôlé la tragédie.

Lu sur Facebook et traduit 

mer, 10/08/2022 - 16:34