La CIA affirme que le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane « soutenait le recours à des mesures violentes, si nécessaire » pour faire taire le journaliste Jamal Khashoggi.
Les États-Unis ont publiquement accusé vendredi le prince héritier d'Arabie saoudite d'avoir « validé » l'assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, au risque d'une crise entre les deux pays alliés.
Nous sommes parvenus à la conclusion que le prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed ben Salmane a validé une opération à Istanbul, en Turquie, pour capturer ou tuer le journaliste saoudien Jamal Khashoggi, écrit la direction du renseignement national dans un court rapport de quatre pages, déclassifié à la demande du président Joe Biden, alors que son prédécesseur Donald Trump l'avait gardé secret.
Le prince héritier considérait Khashoggi comme une menace pour le royaume et, plus largement, soutenait le recours à des mesures violentes, si nécessaire, pour le faire taire, ajoute-t-elle.
La Maison-Blanche a annoncé que des mesures seraient dévoilées dans la foulée, sans plus de précisions.
Le président Biden – qui avait jugé avant son élection, en novembre, que le royaume du Golfe devait être traité comme un État paria pour cette affaire – a tenté de déminer le terrain en appelant jeudi au téléphone le roi Salmane pour la première fois depuis son arrivée à la Maison-Blanche.
S'il a mis l'accent sur les droits de la personne universels et l'État de droit, il a aussi adressé un satisfecit au monarque pour la récente libération de plusieurs prisonniers politiques. Il a également évoqué l'engagement des États-Unis à aider l'Arabie saoudite à défendre son territoire face aux attaques de groupes pro-Iran, selon la présidence américaine.
Ni Washington ni Riyad n'ont mentionné, dans leur compte rendu de cet appel, le rapport déclassifié potentiellement explosif pour leurs relations bilatérales.
Le journaliste dissident Jamal Khashoggi a été assassiné le 2 octobre 2018 par une équipe d'agents saoudiens dans les locaux du consulat d'Arabie saoudite à Istanbul, en Turquie.
Critique du pouvoir saoudien après en avoir été proche, Jamal Khashoggi, résident des États-Unis et chroniqueur au quotidien Washington Post, avait été assassiné le 2 octobre 2018 dans le consulat de son pays, à Istanbul, par un commando d'agents venus d'Arabie saoudite.
Son corps, démembré sur place, n'a jamais été retrouvé.
Après avoir nié l'assassinat, Riyad avait fini par dire qu'il avait été commis par des agents saoudiens ayant agi seuls. À l'issue d'un procès opaque en Arabie saoudite, cinq Saoudiens ont été condamnés à mort et trois, condamnés à des peines de prison; les peines capitales ont depuis été commuées.
Cette affaire a terni de façon durable l'image du jeune prince héritier Mohammed ben Salmane, dit « MBS », véritable homme fort du royaume rapidement désigné par des responsables turcs comme le commanditaire du meurtre, malgré les dénégations saoudiennes.
Le Sénat des États-Unis, qui avait déjà eu accès aux conclusions des services de renseignement américains, avait aussi jugé dès 2018 que le prince était responsable du meurtre.
Or Mike Pompeo, alors secrétaire d'État de Donald Trump, avait de son côté affirmé que le rapport de la CIA ne contenait aucun élément direct liant le prince héritier à l'ordre de tuer Jamal Khashoggi.
Et l'ex-président républicain n'avait jamais voulu publier ce rapport ni blâmer publiquement Mohammed ben Salmane, pour préserver l'alliance avec Riyad, pilier de sa stratégie anti-Iran, premier exportateur mondial de pétrole brut et gros acheteur d'armes américaines.
Les photos de Mike Pompeo, tout sourire, aux côtés de MBS avaient apporté de l'eau au moulin des détracteurs de la diplomatie trumpiste, accusée d'avoir couvert l'assassinat.
J'ai sauvé sa peau, a d'ailleurs reconnu, après coup, le milliardaire républicain auprès du journaliste américain Bob Woodward.
Des restrictions de visas pour 76 Saoudiens
Les États-Unis ont annoncé vendredi des restrictions de visas pour 76 Saoudiens accusés d'avoir menacé des dissidents à l'étranger, dont Jamal Khashoggi.
Ces sanctions s'inscrivent dans le cadre d'une nouvelle règle, baptisée par le département d'État américain Khashoggi Ban, ou l'interdiction Khashoggi, visant à interdire d'entrée aux États-Unis toute personne accusée de s'attaquer, au nom des autorités de son pays, à des dissidents ou journalistes à l'étranger, a déclaré le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, dans un communiqué.
L’administration américaine a également annoncé des sanctions financières contre une unité d'intervention spéciale et l'ancien numéro deux du renseignement saoudien, Ahmed al-Assiri, proche du prince héritier.
Le général Assiri, un influent militaire, avait été mis en accusation, mais acquitté par la justice saoudienne. La justice turque l'accuse de son côté d'être un des commanditaires du meurtre du journaliste saoudien.